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CARLING, une sauvageonne de génie

 

Prix de Diane 1995. Pour son sacre annuel des pouliches de trois ans, Chantilly balance entre Matiara la sophistiquée, Muncie la jolie et Carling la sauvageonne. Sur le coup des seize heures, les princesses entrent en piste pour le défilé... Dans quelques minutes, une seule sera élue reine dans la plus pure loi de l'ultra-classicisme.

 

Carling devance sa grande rivale Matiara.

 

Née dans la pourpre, Matiara promène timidement ses tresses sur une sage robe bai-brune. Mignonne et toute ronde, Muncie frétille en présentant une charmante pelote blanche en tête. De son côté, Carling la belle sauvage marche fièrement, la tête haute, l'oeil dominateur. L'air de ne pas y toucher, des épis plein ses crins lâchés, elle jette l'antérieur telle une danseuse, tout en roulant des fesses. "Elle marche comme Claudia Schiffer" dit d'elle, son entraîneur Corine Barbe.

Bientôt, les belles s'élancent, passent devant les Grandes Ecuries, le château du Prince de Condé et abordent la montée finale. Dans la ligne d'arrivée, les chapeaux des dames frémissent, les coeurs chavirent, les chevaux des autres courses s'agitent dans leurs box. Le Prix de Diane est en train de se jouer. Carling, d'un superbe coup de reins, s'arrache de ses rivales.

Aimant dominer ses adversaires, n'étant jamais aussi forte que quand, seule devant, elle doit résister aux attaques, Carling se bat comme une lionne et, bientôt, son triomphe s'accompagne d'une immense clameur. La chouchou de la France entière vient d'entrer dans la légende. Matiara, qui l'avait devancée d'un nez polémique dans la Poule d'Essai des Pouliches, se classe ensuite devant l'Allemande Tryphosa; Muncie l'élégante ne peut finir que cinquième. Sur la célèbre piste cantilienne, Carling la roturière est devenue reine. Une des plus jolies "histoires de cheval" de la décennie trouve, ainsi, son apothéose.

 

Le Prix de Diane, apothéose d'une histoire extraordinaire.

 

En effet, la jolie pouliche baie aurait pu tout aussi bien ne jamais voir le jour, car sa mère Corraleja était bouletée et fut sauvée par l'amour et la confiance que lui portèrent la famille Delbart. Corraleja fut élevée par Madame Van de Kerchove, véritable fée des juments, puisque déjà responsable de la venue au monde de la merveilleuse Magic Night, deuxième du Diane et de l'Arc, en dépit d'origines tout aussi modestes que Carling. Corraleja courut en course, malgré son infirmité, et finit par atterrir chez les Delbart qui décidèrent de faire d'elle leur première poulinière.

Cet essai allait se transformer en coup de maître. Pour ce joli modèle, ils recherchèrent le sang talentueux de l'illustre Mill Reef en la croisant avec l'excellent père de champions... d'obstacle Garde Royale, au tarif de saillie très abordable. Bien loin du Kentucky, de Normandie ou d'Irlande, Carling va connaître ses premières galopades dans un pré en pente, non loin de Chantilly. Chaque jour, les enfants de la cité pavillonnaire toute proche lui offrent des pommes, désirs inconnus des pensionnaires des haras-palaces. De son côté, Corraleja la miraculée apporte à sa pouliche le goût de la vie et, qui sait peut être, le désir de se battre, cette envie de gagner qui la rendra célèbre.

A l'aube de ses deux ans, les Delbart décident d'envoyer Carling chez Corine Barbe, jeune entraîneur qui va ainsi toucher sa première perle rare. La belle histoire prend forme... Très vite, Carling dévoile de réelles aptitudes sur les pistes de la forêt de Chantilly. Ses origines modestes et son allure de sauvageonne ajoutent un effet supplémentaire à un charisme déjà bien réel. Carling "dégage" vraiment. Son oeil est rond, comme souligné au khôl. Son regard intense et fier rappelle celles qui ne s'en laissent jamais conter.

 

Au sein du premier lot, dans les lueurs de l'aube, Carling domine. L'aura du crack! Gare au cheval de handicap qui oserait venir lui disputer ce sucre que Corine lui tend! Carling, madone charmeuse et inflexible matrone. Toute à l'écoute de sa pouliche, Corine Barbe, en plus de sa compréhension et de ses feelings propres, va appliquer certaines règles du sorcier Maurice Zilber:"laisser le temps au temps, ne jamais faire le galop de trop pour se rassurer sur la forme du moment."

Débutant dans un certain anonymat dû à ses origines, Carling, encore très "verte", finit troisième de la bonne Coco Passion sur l'hippodrome de Fontainebleau. Ses deux sorties suivantes, à Compiègne et à Maisons-Laffitte, se soldent par autant de victoires. Entre chaque compétition, Corine Barbe laisse à sa pouliche les trois ou quatre semaines qui lui sont nécessaires pour conserver son influx et son moral.

La fin de saison approche, époque du premier test sérieux pour la fille de Corraleja. Carling participe à son premier groupe III, le prix des Réservoirs et l'emporte brillamment devant Matiara.

 

 

 


Qui aurait pu être certain, ce jour-là, que cette ligne allait s'avérer être la bonne dans la sélection classique des pouliches de trois ans ? Au printemps suivant, Carling "rentre" dans "la Grotte", groupe III, préparatoire à la Poule d'Essai des Pouliches, et finit troisième de Matiara et Shaanxi.

En prévision des grands rendez-vous à venir, Carling et Corine s'adjoignent le jockey maison, Thierry Thulliez, jeune professionnel venant tout juste de perdre sa décharge d'apprenti. Pour lui, elfe de l'histoire, c'est le rêve! Tous les éléments sont désormais en place pour que le conte de fées devienne réalité. Et, c'est sans coup férir, dans la plus grande émotion, que Carling remporte le Prix de Diane.

 

 

Jean François Delbart, Corine Barbe, Carling.

 

A l'automne, la belle double la mise en démarrant de loin sur les 2400 mètres de l'essentiel Prix Vermeille. Carling est bien la meilleure pouliche de France. Il lui reste désormais à affronter les mâles dans le Prix de l'Arc de Triomphe. Carling "engage" énormément et, de plus a du caractère. Elle n'aime ni être bousculée, ni être gênée. Dans le "Jacques Le Marois", au mois d'août, elle avait été tamponnée et mise hors-course par un adversaire; l'ostéopathe, venu la soigner, lui remit alors une vertèbre. De toute façon, le praticien savait qu'elle avait quelque chose avant même de la toucher, car elle l'accepta chez elle. Si elle n'avait rien eu, elle l'aurait viré du box.

Dans l'Arc, Carling devenue la propriété de Monsieur Yoshida allait être mise au chaud par la coalition anglo-maktoumienne. Quand, enfin, elle put voir le jour, Lammtarra était déjà très loin... Après une Japan Cup de fin de saison, où Carling, sans doute fatiguée, ne put montrer son véritable visage, il était décidé que la fille de Corraleja resterait à l'entraînement à quatre ans. Pour le plus grand bonheur de tous ses amoureux.

 

1996. Carling suivit la filière classique des meilleurs chevaux d'âge. Deuxième du champion Valanour, dans le Prix d'Harcourt, elle ne put jamais s'exprimer, totalement enfermée dans un "Ganay" sans train, apanage du même Valanour.

Deux ans plus tard, Carling désormais poulinière, reste sans conteste l'une des très grandes pouliches des années 90.

Pour tous ceux qui ont permis à son immense talent de s'exprimer, la fée Carling a changé la vie. Corine et Thierry sont des professionnels reconnus et Jean-François Delbart a pu réaliser son rêve : fonder un élevage avec les quatre soeurs de Carling, Laurielle, Garling, Coralys et Coral Bird. Le sang de Corraleja, disparue ce printemps, n'a sans doute pas fini d'émerveiller. Une dernière anecdote. Une nuit, chez Corine Barbe, c'est le branle-bas de combat. Des phares, une ombre ont mis en émoi les écuries. En fait, une fausse alerte mais Corine Barbe fait néanmoins le tour de ses chevaux. Tous ont le nez à la fenêtre, sauf un. Chanfrein contre le mur, oreilles en banane, Carling attend l'intrus éventuel, un postérieur levé. "Quand je vous disais que je ne m'en laissais jamais conter!"

 

Vincent Le Roy

 

Publié dans le Numéro 23 de la revue EQUUS-Les Chevaux - Photos : A.P.R.H.

 

Update 2003 - Le 7 septembre 2003, Lohengrin, un élégant alezan fils des champions Singspiel et Carling, déjà placé de groupe I au Japon, est au départ d'un superbe Prix du Moulin de Longchamp.
Update 2009 - LEGOLAS, fils japonais de Carling par le Chef de Race Sunday Silence, est Etalon en France.