Le Cheval Bleu
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Et si on parlait gros obstacles ...

 AL CAPONE II

 

 



Au nom des plus grands : Ubu III, Ucello II, The Fellow et lui-même.

 

Dimanche 9 novembre 1997. Auteuil. 15h20. Son cinquième Prix La Haye Jousselin.

Les Seigneurs entrent en piste. Pour le plus grand rendez-vous de l'automne sur les obstacles : les 5500 mètres du prix La Haye-Jousselin. Le terrain assoupli compensant largement les 300 mètres de moins que comporte cette course par rapport au Grand Steeple-Chase de Paris, couru en juin, il est dès lors justifié de rendre hommage aux chevaux en surnommant cette épreuve, l'autre Grand Steeple.

Splendides et fiers, les sept steeple-chasers foulent calmement, presque nonchalamment, le vert d'Auteuil. Les oreilles en avant, attentifs, ils observent la foule impressionnée. Leurs deux ans sont loin déjà. Ils ne tremblent pas, leur pas est assuré. Pas de fougue excessive, leur encolure est sèche. Ils savent...

Le connaisseur quitte, un instant, les chevaux des yeux. Son regard part directement, en face, vers l'obstacle qui, sans doute, dans quelques minutes, créera la sélection. Impitoyable, massif et tassé au pied des grands arbres, le Rail-Ditch and Fence attend ses champions.

Les chevaux s'approchent des élastiques déjà tendus. Nouvelle dérive : le brook, le gros open-ditch, la double barrière, la rivière des tribunes et son saut de huit mètres. Le départ est proche maintenant. Poitrails éclatés, croupes en V, encolures musclées se regroupent, virevoltent en un Degas royal.

Ils sont sept. Belussac, Cand'or, Baccarat Collonges, Saint Quenin, Mérimont, D'Auteuil et, bien sûr, l'incontournable as des as, sans doute le meilleur cheval d'obstacle au monde, Al Capone II.

A 9 ans, "Pompon", comme l'appelle son entraîneur Bernard Secly, a déjà tout gagné. Le Grand Steeple-Chase de Paris, le très important Grand Steeple des 4 ans, le prix Murat, le prix Ingré, le prix Georges Courtois, le pris Héros XII et d'autres encore mais ses plus fantastiques exploits ont vu comme théâtre ce fameux "La Haye-Jousselin" où il est invaincu, l'ayant déjà remporté quatre fois, consécutivement.

Epoustouflante performance! C'est un peu comme ci Peintre Célèbre remportait trois Arcs de Triomphe. Cela rappelle Ourasi et ses quatre prix d'Amérique ou encore Hyères III et Katko, le sauteur du siècle, qui gagnèrent chacun trois fois le Grand Steeple-Chase de Paris.

Et, si aujourd'hui, Al Capone II gagnait son cinquième prix La Haye-Jousselin...

L'obstacle est une discipline fabuleuse et ses champions sont des cracks, à part entière. Du haut de son 1 mètre 62 et demi, l'AQPS Al Capone II est déjà un des plus grands chevaux de l'histoire, à l'image de Ribot, de Sea Bird ou d'Uranie. N'en déplaise aux puristes exclusifs!

 

The Fellow

 

Quand le pur-sang Katko - qui, cela dit en passant, a toujours aujourd'hui super bon pied et super bon oeil - s'arrête après une multitude d'exploits, les fanatiques d'Auteuil se demandent comment ils vont pouvoir se passionner en absence du grand alezan. Prenant chaque difficulté dans la foulée, sans calcul, Katko caracolait toujours en tête. Chaque fois, il assommait la course, volant deux longueurs à ses adversaires sur chaque obstacle, snobant Rocker ou Pagan Lee. Avec lui, la piste extérieure semblait un jeu d'enfants. Dominant de tout bons chevaux dans son action gigantesque, avec lui le Rail-Ditch n'était plus qu'un crayon d'écolier.

Pourtant, quatre chevaux prodigieux allaient prendre magnifiquement sa relève. Des duels d'une intensité incroyable allaient voir le jour et Auteuil allait vivre comme jamais, peut être. Le génie devenait AQPS. A quatre, ils allaient multiplier les émotions. Leurs noms : The Fellow, Ucello II, Ubu III et Al Capone II.

Seul, Al Capone II porte encore aujourd'hui filet, savonnette et guêtres de course, tandis que The Fellow, merveilleux vainqueur du Grand Steeple et de la Gold Cup de Cheltenham, mange librement de l'herbe... Tous deux vivent aux noms des sublimes Ubu III et Ucello II qui, un jour tristement, allèrent trop loin, l'un au-delà de son exceptionnelle résistance guerrière, l'autre au-delà d'une acrobatie de trop.


Ubu III

 

Un vent froid balaie la piste, collante à souhait pour le fils d'Italic. Les élastiques claquent... Ucello, l'équilibriste insensé, n'est plus là depuis trois ans déjà; Chamberko n'est pas là non plus, étant arrêté après avoir tout tenté pour dominer le petit chat génial.

C'est ainsi que la course va démarrer selon un scénario original avec Al Capone II prenant la tête et emmenant toute sa cour, au galop de chasse. Sa cour? En fait, six traîtres aux aguets, prêts à profiter du moindre faux pas de la star. Ils restent groupés derrière lui, seul Baccarat Collonges apparaît quelque peu irrégulier dans ses sauts.

Bernard Secly : " Au commencement de sa carrière, Al Capone était un cheval très difficile qui tirait énormément. Quand je l'ai reçu, il était traumatisé par un accident de voiture. Pas tranquille dans sa tête, trop tendu, il se jetait dedans. D'ailleurs, ses débuts furent catastrophiques; il déroba et envoya son cavalier au tapis. Plus tard, contre les meilleurs, il était encore trop jeune, il était impossible de marquer Ucello II, à l'avant, comme cela a été fait dernièrement avec Chamberko. Il était nécessaire de le détendre en le faisant attendre à l'arrière. Il a fallu qu'il comprenne ce que l'on attendait de lui. Certains chevaux adorent sauter, ils doivent juste être mis au calme, mis en confiance."

L'espace de deux saisons, tandis qu'Ubu III rayonnait sur les haies, Ucello II et Al Capone II succédèrent à The Fellow et se renvoyèrent la balle du pouvoir suprême sur le steeple d'Auteuil. Ainsi, le petit chat dominait l'intrépide insensé dans deux "La Haye-Jousselin" successifs alors qu' Ucello II prenait sa revanche sur Al Capone II sous le soleil du Grand Steeple de juin. Horriblement, dans la gadoue de décembre d'un prix Georges Courtois inutile, un stupide obstacle négligé allait mettre fin à ces sublimes passes d'armes... Ce jour-là, des hommes pleurèrent et certains quittèrent même l'hippodrome...

 

Ucello II

 

Aujourd'hui, Al Capone II galope en tête, spectacle inhabituel. Les chevaux allongent leur foulée, devant les tribunes, se tendent à l'approche de la rivière... L'alezan Belussac, héros de Cagnes sur Mer, se trompe et envoie son jockey au sol. Dans le tournant, Al Capone II croise l'âme d'Ucello II et s'étend encore. Mérimont et D'Auteuil l'accompagnent. Avec ses oeillères, l'excellent pur-sang Saint Quenin attend avec Cand'or, au finish redoutable, et Baccarat Collonges qui ne semble pas être dans son meilleur jour.

Al Capone II accélère un peu sur la piste intérieure des Steeple-Chase. Tactique prévisible: c'est le meilleur, il lui faut fatiguer les autres, annihiler dans l'oeuf toute tentative adverse. Technique connue: le petit chat calcule ses foulées, gonfle ses sauts à l'inverse de Katko, respire sur chaque difficulté et, après la réception, repart très vite de lui même en revenant sur la main de son cavalier. Jean-Yves Beaurain l'a compris, il l'écoute. Le connaissant par coeur, il ne s'inquiète même plus. Tout juste dit-il : "à ses débuts, il perdait quatre ou cinq longueurs sur le Rail-Ditch, désormais, il n'en perd plus que deux ou trois sur cet obstacle et une sur l'Open-Ditch..."

A chaque saut, le peloton revient sur le leader. Belussac, les rênes entre les antérieurs, s'amuse au milieu des autres, gêne quelque peu Al Capone. Pourvu qu'il ne trouble pas la fête que nous atttendons tous... Dans les tribunes, chacun retient son souffle, galopant foulée après foulée, avec son préféré. Le jeu n'existe plus, seule la passion subsiste.

Au second passage devant les tribunes, les pouls s'accélèrent. Le déroulement de la course inquiète. L'épreuve est nettement moins sélective qu'en présence de Chamberko, animateur habituel des grands rendez-vous du steeple. Et, à la rivière, Al Capone II "fait de l'eau", faute rarissime pour lui.

Les chevaux et la mémoire... A l'approche des gros d'en face, Belussac freine. Pas folle, la guêpe! Les plaisanteries les plus courtes... Toujours en tête, Al Capone II se tend à l'approche du Rail Ditch, prend quelques longueurs sur le trio Mérimont, D'Auteuil, Saint Quenin. Longueurs qu'il perd tout aussitôt au saut du juge de paix. Trois ou quatre comme dans sa jeunesse. Le crack semble jouer avec les autres...

Bernard Secly déclarera à l'arrivée:"Aujourd'hui, il a un peu joué car ce n'était pas une course pour lui: celle-ci n'a pas été assez dure. Il aime les épreuves sélectives."

Après le Rail Ditch, son jockey atttend qu'Al Capone II "se rééquilibre, qu'il se ressource suite aux deux gros sauts qu'il vient d'accomplir, qu'il revienne sur la main. On sent qu'il cherche de lui même à reprendre l'avantage, il attend juste la commande". Et c'est dans l'ultime tournant, selon une tactique qui a déjà fait merveille qu'il va réussir le K.O. A l'endroit où un cheval, disons normal, demande à souffler après les efforts consentis sur la ligne extérieure, Al Capone II, quant à lui, est capable de mettre une pression phénoménale sur ses adversaires en accélérant à cet endroit. Mérimont lâche prise, D'Auteuil est toujours plus ou moins là, seul Saint Quenin semble pouvoir encore mettre à mal la suprématie d'Al Capone II mais il est désormais tout seul à plusieurs longueurs de lui et va visiblement moins bien que son adversaire.

Ceux qui ont souvent vu courir le petit chat et connaissent donc son sprint étourdissant, savent qu'il a déjà gagné.

Bernard Secly:" Dans le Grand Steeple, nous pensions que Chamberko, manquerait de tenue. J'ai demandé à Jean-Yves Beaurain de demander les plus gros efforts à Al Capone dans le dernier tournant dès qu'il verrait Christophe Pieux, le jockey de Chamberko, poser les mains pour permettre à son cheval de souffler. C'est ce qui s'est passé. Al Capone n'a jamais laissé Chamberko prendre réellement de marge le long de la ligne d'en face et quand Pieux a voulu reprendre son cheval pour mettre tout le monde au galop de chasse, Al Capone l'a attaqué à mort pour tenter le K.O. d'office. L'un des deux devait craquer: ce fut Chamberko. Il ne pouvait y en avoir qu'un: ce fut Al Capone. Ce jour-là, Al Capone l'emporta de huit longueurs et si le terrain avait été lourd, il y en aurait eu vingt..." Plus tard, il ajoutera: "Al Capone a tout gagné, mais il continue car il est meilleur que jamais!!!"

Al Capone II entre détaché dans la ligne droite. Aujourd'hui, il n'aura pas réllement besoin de sprinter contrairement à sa légende. Attentif, il pointe ses oreilles à l'amorce de la dernière haie, puis les relâche en arrière durant le court plané. A quoi peut donc bien penser cet extra-terrestre?

Les derniers mètres ne sont qu'une formalité. Al Capone II est hors d'atteinte de Saint Quenin. D'Auteuil et Cand'or sont loin. Un masque de guerrier sur sa face au repos si tranquille, Al Capone II signe l'impossible. La cravache dans les dents, son jockey montre au public, de sa main ouverte le chiffre cinq. Al Capone II passe en immense vainqueur la ligne d'arrivée. L'an prochain, il faudra que Jean-Yves Beaurain finisse rênes longues pour pouvoir indiquer des deux mains le chiffre six...

 

Al Capone II

 

Al Capone II rentre aux balances sous des tonnerres d'applaudissements. Le bonheur régente Auteuil. Le souvenir d'Ubu III, gagnant de deux Grandes Courses de Haies et...d'un Grand Steeple, s'estompe enfin.

Bernard Secly doit être comblé:" Les courses sont à la gloire du cheval. A Longchamp, devant la statue, tout le monde se souvient de Gladiateur, mais pas de son entraîneur."

Comme nous, les chevaux ne sont pas des numéros. Un jour, sur un hippodrome, un turfiste lui demanda:" J'ai joué votre 15, avant hier. Il a très mal couru." L'entraîneur lui répondit:"C'est normal. Sa mère, le 12, ne tournait pas à gauche et son père, le 8, n'allait que dans le lourd". Cela me fait du mal d'écrire que l'autre dit ensuite: "Alors, je comprends!"

Demain, Al Capone II sortira son lot comme à l'accoutumée. En tête, il fera le maître d'école, emmenant Embiez, El Paso III et les autres, à l'entraînement à Chantilly. Calme et serein, comme un très grand qu'il est, c'est lui qui ouvrira la porte d'accès aux pistes.

"Pompon a un véritable instinct de la lutte. Sinon, ce qu'il aime, c'est la chaise longue. Fondamentalement, il s'en fiche complètement d'être le meilleur ou non. Le problème du jour étant réglé, il veut sa bonne litière, ses carottes et ... la paix".

 

Vincent Le Roy

 

Equus remercie sincèrement Bernard Secly pour son aimable participation.


Publié dans le numéro 31 d'EQUUS Les Chevaux.
Photos : APRH - Yassi Rézanour

 

Et, c'est en menant, Maître d'Ecole pour les petits jeunes, qu'Al Capone II remporta en 1998 son sixième Prix La Haye-Jousselin devant Fulip et Kifill.

En 1999, Al Capone II devança les très bons jeunes champions d'Auteuil Mandarino et Vieux Beaufai dans le Prix Ingré et se présenta au départ du Grand Steeple-Chase de Paris avec plus de 14 millions de francs de gains. Il y fut un beau deuxième de Mandarino, monté par Philippe Chevalier, le jockey d'Ubu III...

Dimanche 7 novembre 1999 - Al Capone II remporte son 7ème Prix La Haye Jousselin contre 7 adversaires.

Ses adieux allaient avoir lieu dans son huitième, qui le grandissait encore, même s'il ne pouvait finir que deuxième du champion First Gold.

 

Al Capone II

65 courses, 26 victoires, 7 Prix La Haye-Jousselin consécutifs, 17 211 500 FF de gains.

 


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